Où vas-tu réverbère ?
Publié le 14 Avril 2019
Le vent m'interroge,
il frise des cris d'oies sauvages et des couleurs d'autres temps.
Une énorme luciole court dans le ciel,
elle marche les pieds en l'air,
trébuche sur une note de musique.
Une petite fille vient de s'écrier :
"Oh, une maman luciole !"
Interloqué, comme une branche de laurier
prise de fou rire quand le vent la chatouille,
j'interpelle le ciel :
- Où vas-tu globe fou évadé d'un réverbère ?
Vas-tu au pays des Lunes ?
Surprise ! Un réverbère perdu dans son rêve me répond :
- Je vais rejoindre cette "femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime"*
Depuis quand les réverbères répondent-ils ?
Depuis quand les réverbères ont-ils des Lettres ?
Lumineux, il me parle,
flotte dans une apesanteur apaisée.
Sait-il que je suis l'enfant du rien
celui qui appartient au Tout ?
L'enfant fragmenté
dans la superposition des mondes et des consciences ?
Sait-il que nous n'habitons pas le même rêve,
qu'une part de moi a déclaré la guerre au vide ?
Je me parle, je parle à l'instant qui passe,
je me parle de tout.
J'agace les autres : "Tu es dans la lune…
Mais que fais-tu, tu n'es pas sur terre…"
Pour une fois, c'est un peu vrai :
je suis avec la lune au royaume des réverbères.
Le monde délire de réalisme et d'infidélité au rêve,
moi, j'ai l'enfance identitaire,
je me fiche du monde, je vis dans mon univers.
Eux, comment font-ils pour vivre dans leur monde ?
Ne voient-ils pas ces ventres affamés
que l'on fourgue à la mort,
ces familles culs-bénis s'empiffrer à en éclater ?
Où vas-tu lune, globe fou évadé d'un réverbère ?
Vas-tu au pays des Lunes ?
Le réverbère hausserait les épaules s'il en avait,
aussi hausse-t-il simplement le ton et répond, dédaigneux :
- Tu troubles mon rêve, ce "rêve étrange et pénétrant
d'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime*
Le vent consterné me regarde.
Mon rêve tombe dans une envolée de feuilles mortes.
Je suis seul,
comme un enfant,
seul.
*NDLR : Paul Verlaine (Mon rêve familier)